A voir ce lundi 2 juin sur France 3 en deuxième partie de soirée : le documentaire inédit Jérôme Cahuzac, l’homme qui ne savait pas mentir. En faisant le portrait psychologique d’un homme autant que le récit d’un cataclysme politique, Gérard Miller et Anaïs Feuillette ont voulu comprendre quelle était la logique de l’affaire Cahuzac.
« Ne doute jamais de moi », c’est ce que Jérôme Cahuzac a dit à Marion Bougeard, son attachée de presse, celle dont il devait s’assurer d’un soutien sans faille, la première qu’il a fallu convaincre. Et sur elle comme sur tant d’autres, la détermination de l’homme en qui elle avait placé sa confiance a fait mouche : elle n’a pas douté. Mais par quel aveuglement, Jérôme Cahuzac, supposé si clairvoyant, a-t-il pu oublier pendant des années l’épée de Damoclès suspendue au dessus de sa tête ? Et, une fois révélée l’existence de son compte en Suisse, comment a-t-il pu avoir la naïveté de croire que ses mensonges suffiraient à le protéger ?
En offrant dans ce film le portrait d’un homme autant que le récit d’une affaire, Gérard Miller et Anaïs Feuillette ont cherché à comprendre la logique qui a conduit un possible Premier ministre au coeur d’un cataclysme absolument inédit dans la vie politique française.
Note d’intention de Gérard Miller et Anaïs Feuillette, auteurs-réalisateurs :
"L’objet de ce film n’était pas de surplomber le mensonge Cahuzac en adoptant un point de vue moral et les affects qui vont avec (réprobation, ressentiment, colère, etc.), affects dont la classe politique a saturé ses messages pour s’exempter de toute faute. Ce qui nous a intéressé, c’est de situer ce mensonge dans l’histoire subjective de l’intéressé, dans la logique même de ses engagements personnels, de ses incarnations successives, dont on verra en quoi elles sont ou non contradictoires.
Pour chacun, la vérité n’est pas un constat objectif, c’est une narration, c’est un récit, et qui a un sens. Lacan disait : « La vérité a structure de fiction. » Eh bien, comment Cahuzac a-t-il exploité pour son propre compte, la structure de fiction de la vérité ? Quelle histoire s’est-il raconté à lui-même avant de la raconter aux autres ? — voilà ce qui nous a retenu et sert de fil conducteur à ce documentaire.
Selon Tacite, c’est dans des beuveries que les Germains débattaient des décisions importantes, car ils étaient convaincus qu’un homme ivre ne pouvait mentir. In vino veritas ! Mais il y a aussi une ivresse propre au mensonge, et qui peut aller jusqu’à la mythomanie. Les psychanalystes le savent bien : l’enfant croit d’abord que ses parents sont capables de lire ses pensées. Quelle jubilation quand il s’aperçoit que, non, l’Autre ne sait pas ! « J’aimerais ne pas avoir menti », dit le menteur pris la main dans le sac, et sans doute est-ce vrai au moment où il se sent lâché par le mensonge derrière lequel il s’était rempardé. Mais peut-il complètement oublier cette part de jouissance qui devait être la sienne quand il disait, « les yeux dans les yeux » : « Non, jamais, je dis bien jamais, je n’ai eu de compte en Suisse » ?
Tout menteur jouit du non-savoir de l’Autre, et c’est à l’occasion une jouissance addictive, notamment quand le menteur est assez doué … pour se mentir à lui-même, et ce pendant des années".
Crédit photo © André Dossat